Et si les sols aidaient à limiter le changement climatique ? Une équipe internationale de l’initiative 4pour1000, dont fait partie Cornelia Rumpel, Directrice de recherche CNRS à iEES Paris, propose une stratégie mondiale pour séquestrer le carbone dans les sols par une gestion du sol et une agriculture durables.
Un communiqué de presse tiré des sites :
? du CNRS
Pour limiter le changement climatique, il est nécessaire de réduire les émissions de CO2 dans l’atmosphère. Or, le sol des écosystèmes terrestres a la capacité de fixer de grandes quantités de carbone à long terme. Une équipe internationale de scientifiques, coordonnée conjointement par INRAE et l’Université de Bonn (Allemagne) et impliquant aussi le CNRS en France1, montre que si ce potentiel était utilisé plus efficacement il permettrait de réduire d’un tiers l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère. Dans le même temps, les rendements agricoles augmenteraient de manière significative dans de nombreuses régions du monde. Pour cela, une transition vers des pratiques agricoles et de gestion du sol durables est nécessaire ; elle serait bénéfique à la fois pour la préservation des fonctions des sols et pour la sécurité alimentaire. Cette transition doit être adaptée aux conditions environnementales et socioéconomiques des différentes régions du monde. Dans un article paru le 27 octobre dans Nature Communication, une vingtaine de spécialistes proposent les actions à mettre en place pour développer une stratégie mondiale de séquestration du carbone dans les sols agricoles.
Durant la dernière décennie, les émissions de carbone causées par les activités humaines étaient en moyenne de 4,9 gigatonnes par an. Pour limiter le changement climatique il est nécessaire de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Grâce à la matière organique qu’ils contiennent (issue des plantes, des microorganismes), les sols des écosystèmes terrestres stockent deux à trois fois plus de carbone que l’atmosphère. Augmenter chaque année le stock de carbone des sols agricoles de 0,4 % (ou 4 pour 1000) dans les 40 premiers centimètres du sol serait, en théorie, équivalent à l’augmentation des émissions de carbone annuelles causées par les activités humaines. C’est cet objectif qui est à l’origine de l’initiative « 4 pour 1000 » lancée par la France durant la COP 21 en 2015 et qui vise à encourager l’augmentation du stockage de carbone dans les sols par des pratiques agricoles durables.
Actuellement, la dégradation des sols agricoles est devenue un risque majeur pour la sécurité alimentaire, en particulier dans les pays en voie de développement, car les sols trop dégradés (pauvres en carbone organique) ne sont plus fertiles. Mais la mise en place de pratiques agricoles durables (agriculture de conservation des sols, agroforesterie…) pourrait stopper cette dégradation. L’apport de matière organique dans les sols dégradés permettrait, en plus d’augmenter les stocks de carbone, d’avoir des sols plus stables et plus fertiles pour une agriculture plus résiliente face au changement climatique. Les auteurs et autrices de l’étude remettent le sujet à l’ordre du jour en analysant les conditions environnementales et socioéconomiques qui devraient être prises en compte dans les différentes régions du monde au travers d’exemples concrets d’Europe, des Etats-Unis, d’Australie ou d’Afrique australe. Ils présentent ainsi une stratégie pour utiliser efficacement le potentiel des sols agricoles pour contribuer à la lutte contre le changement climatique.
Besoin de mesures locales pour favoriser la séquestration du carbone dans les sols
La mise en œuvre globale de ce plan se heurte à la disparité de la qualité et des propriétés des sols des différents sites, et aux pratiques de culture trop dissemblables. Cette diversité demande des mesures spécifiques et locales pour favoriser la séquestration du carbone dans le sol. Malheureusement, les connaissances sur l’état des sols sont très inégales. Les scientifiques recommandent donc la mise en place de bases de données qui enregistrent l’état des terres, une modélisation des gains en rendement possibles et de l’utilisation des engrais nécessaires pour cela. Si ces données sont disponibles dans les pays d’Europe comme l’Allemagne, la France ou la Belgique grâce à la cartographie des sols à haute résolution, il y a un manque d’information criant dans les pays en voie de développement. Dans ces pays, des mesures de restauration des sols agricoles peuvent être établies localement en impliquant les agriculteurs et les parties prenantes qui sont généralement bien informés sur l’état de leurs sols.
Un des points clés à mettre en place pour favoriser les mesures de gestion durable des sols est de développer les outils de mesure, comme par exemple les plateformes intégrées de mesure et de modélisation prédictive de l’évolution des stocks de carbone pour accompagner les décideurs dans leur démarche. Aux Etats-Unis, l’Université du Colorado développe et teste actuellement un prototype.
Des leviers politiques et économiques pour la mise en place de ces mesures
Les mesures économiques et sociales les plus efficaces pour la mise en place de programmes de séquestration du carbone dans le sol se sont révélées être celles impliquant la collaboration de multiples parties prenantes comme les ONG, les entreprises privées et les acteurs locaux. En réponse à la demande des consommateurs, de nombreuses multinationales agroalimentaires s’engagent pour réduire signicativement leurs émissions de gaz à effets de serre. Ainsi, de grands groupes industriels engagés dans l’initiative 4 pour 1000 peuvent influencer la transition vers des agricultures durables d’espaces agricoles à grande échelle. Les initiatives locales ont également leur importance, comme celle d’une fondation néérlandaise qui a développé une vingtaine de camps dans le monde pour sensibiliser et former les acteurs locaux d’une région à la restauration des écosystèmes et aux pratiques agricoles durables. A travers l’étude de nombreux exemples, les scientifiques ont ainsi identifié 3 points à prendre en compte pour que de futures mesures soient efficaces :
- l’engagement des marchés agricoles et des industries liées dans ces mesures,
- l’encouragement des actions de petite échelle impliquant plusieurs acteurs locaux,
- l’amélioration des capacités locales de gestion des sols.
*Laboratoire CNRS impliqué : Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris (CNRS/Sorbonne Université/Upec/INRAE/IRD).
Bibliographie
W. Amelung*, D. Bossio, W. de Vries, I. Kögel-Knabner, J. Lehmann, R. Amundson, R. Bol, C. Collins, R. Lal, J. Leifeld, B. Minasny, G. Pan, K. Paustian, C. Rumpel, J. Sanderman, J.W. van Groenigen, S. Mooney, B. van Wesemael, M. Wander, and A. Chabbi*, Towards a global-scale soil climate mitigation strategy, Nature Communications, 27 octobre 2020. DOI: doi.org/10.1038/s41467-020-18887-7
* Ces auteurs ont contribué à parts égales