Luc Abbadie, Professeur de Sorbonne Université a été cité dans un article de Libération sur la biodiversité.
Par Coralie Schaub , Aude Massiot et Sarah Bouillaud, Illustrations — 23 août 2020 à 17:06
Mieux boire, manger, respirer, et donc être en meilleure santé… L’humanité a tout à gagner à protéger la diversité du vivant sur Terre.
Les scientifiques sont formels : si l’humanité veut se prémunir au maximum de l’apparition de nouvelles épidémies comme le Covid-19, il lui faut absolument et de toute urgence préserver la biodiversité, c’est-à-dire la diversité du vivant sur Terre, la diversité au sein des espèces et entre espèces, ainsi que celle des écosystèmes. Autrement dit, il lui faut bichonner, par exemple, les forêts et leurs habitants. Parce qu’à cause des déforestations massives, les animaux sauvages perdent leur habitat, ce qui favorise leurs contacts avec les animaux domestiques et les humains, augmentant les risques d’apparition de zoonoses comme le Covid-19, qui trouve son origine dans un coronavirus de chauve-souris. A l’inverse, les milieux riches en biodiversité contribuent à «diluer» parmi de nombreuses espèces les agents infectieux de ces maladies transmises de l’animal à l’humain.
Contre les maladies infectieuses, la biodiversité est donc un sacré antidote. Mais derrière ce mot apparemment abstrait, voire abscons, se cachent d’autres bienfaits très concrets pour notre santé : tout simplement, ce qui nous permet de vivre. La nature purifie l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons, elle nous assure une alimentation saine et diversifiée, un climat stable…
Tour d’horizon de tous ces bénéfices et services que la nature nous offre gracieusement. De quoi comprendre, en creux, que nous paierons très cher, au propre comme au figuré, si nous continuons à la saccager.
La biodiversité, c’est l’eau potable…
Sans eau, pas de vie, pas de santé. Une évidence. Et sans biodiversité, pas d’eau douce en quantité et qualité suffisantes. Un peu moins évident, a priori. Et pourtant, la biodiversité offre moult services liés à l’eau. Les écosystèmes de forêts, zones humides ou de montagne permettent de nous approvisionner en eau douce (réserves d’eau souterraine, d’eau pluviale et d’eau de surface, soutien au cycle de l’eau…), mais aussi de purifier l’eau (grâce notamment à la filtration et à la décomposition des déchets organiques et des polluants dans l’eau, par des plantes ou des animaux comme les mollusques bivalves).
«La végétation capture l’eau, la retient, elle est récupérée par les sols, qui sont eux-mêmes entretenus par la végétation, et quand il y a évaporation à travers la respiration des plantes, cela crée de la pluviosité locale», explique Philippe Grandcolas, spécialiste de l’état de la biodiversité et directeur de recherche CNRS au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Qui poursuit : «Les plantes et tous les composants biologiques du sol absorbent aussi certains éléments de l’eau et la filtrent. C’est un système d’une complexité incroyable qu’on a du mal à reproduire. Quand on fait des centrales d’épuration des eaux, on essaie de faire des bassins avec des micro-organismes qui digèrent certains types de substances, on récolte des boues dans lesquelles certains polluants se sont fixés, mais on a du mal à atteindre l’efficacité des écosystèmes.»
Et cette imitation imparfaite de la nature a un coût astronomique. En France, dépolluer l’eau des pesticides et nitrates déversés par l’agriculture intensive pour la rendre potable coûte environ 1,7 milliard d’euros par an. Et «le coût complet du traitement de ces excédents d’agriculture et d’élevage dissous dans l’eau serait supérieur à 54 milliards d’euros par an», tandis que «le coût complet de dépollution du stock des eaux souterraines serait supérieur à 522 milliards d’euros», pointait en 2011 le Commissariat général au développement durable.
Résultat, nombre d’aires protégées sont surtout créées dans le but d’assurer un approvisionnement gratuit en eau potable des populations, y compris urbaines. C’était notamment le cas pour 33 des 105 plus grandes villes du monde, selon une étude de 2010 citée dans un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de la Convention sur la diversité biologique sur les liens entre biodiversité et santé, publié en 2015. Un exemple bien connu est celui des montagnes Catskill, classées réserve forestière en 1885, qui offrent ce service écosystémique à plus de 10 millions d’habitants de l’Etat de New York.
…c’est l’air pur
Les milieux naturels tels que les forêts fournissent de l’air de bonne qualité, indispensable à notre santé. La végétation permet aussi de lutter contre la pollution atmosphérique. Ce qui est tout sauf anecdotique : selon une étude parue en 2019 dans l’European Heart Journal, celle-ci tue plus que le tabac, en étant responsable de 8,8 millions de morts prématurées par an dans le monde, dont 67 000 en France, en grande partie à cause de maladies cardiovasculaires. Pour échapper à ce sort, mieux vaut bien sûr avant tout éviter de polluer. Mais en attendant, la biodiversité peut venir à notre rescousse en aidant à purifier l’air.
Les plantes, surtout les arbres à feuilles rugueuses, sont capables d’absorber certains gaz polluants, via leurs stomates et leurs feuilles. Les particules, elles, se déposent temporairement à la surface des feuilles. Au Royaume-Uni, les forêts permettent d’éviter de 5 à 7 morts prématurées et de 4 à 6 hospitalisations par an en réduisant la pollution au dioxyde de soufre (SO2) et aux particules fines inférieures à 10 microns (PM10), selon une étude de 2004. Une autre de 2011 estime que la canopée du grand Londres permet d’éliminer 0,7 % à 1,4 % des particules fines PM10 dans la ville. Ce qui peut paraître peu à l’échelle de l’agglomération mais est bien plus important proportionnellement dans les zones les plus polluées.
La quantité totale de particules fines inférieures à 2,5 microns (PM2,5, encore plus dangereuses pour la santé que les PM10) «nettoyées» chaque année par les arbres varie aux Etats-Unis selon les villes, allant de 4,7 tonnes à Syracuse à 64,5 tonnes à Atlanta, d’après une étude de 2013. Avec, à la clé, dans les dix villes étudiées, une mortalité évitée d’une personne par an et par ville en moyenne… mais de 7,6 personnes par an à New York.
Les végétaux sont aussi capables d’accumuler les polluants dans leurs racines, évitant ainsi leur dispersion dans l’eau ou la poussière. Et en contribuant à baisser la température ambiante, en particulier en ville, et à ombrager des bâtiments, les arbres permettent d’éviter l’émission de polluants liée, par exemple, à la consommation d’énergie pour la climatisation.
Si l’impact de la végétation sur la pollution de l’air est globalement positif, certains aspects peuvent toutefois être négatifs. Les arbres peuvent émettre des composés organiques volatils (COV) ou des allergènes comme le pollen. Et quand ils sont trop concentrés, formant une masse touffue, dans des rues mal configurées par exemple, ils peuvent retenir la circulation du vent et donc limiter la dispersion des polluants.
…c’est un climat stable
Le changement climatique affecte déjà notre santé, en compromettant notre approvisionnement en air pur, en eau potable ou en nourriture, rappelle l’OMS, qui s’attend à ce qu’entre 2030 et 2050, celui-ci provoque quelque 250 000 décès supplémentaires par an dans le monde, dus à la malnutrition, la malaria, la diarrhée ou aux canicules. Celle de 2003 en Europe a causé plus de 70 000 morts supplémentaires.
Bonne nouvelle : là encore, la biodiversité peut nous aider. Forêts – en particulier les mangroves – et océans jouent un rôle important dans la régulation du climat mondial en capturant et stockant certains gaz de l’atmosphère, notamment le dioxyde de carbone. Pour ne parler que de l’océan, c’est un puissant thermostat (il absorbe 93 % de l’excès de chaleur généré par les activités humaines) et une pompe à carbone physique (via la circulation de l’eau) et biologique (quand la matière organique, constituée d’animaux morts dont une grosse part de plancton, tombe sur le fond, y stockant le carbone sur de longues périodes géologiques).
La biodiversité assure aussi la régulation du climat régional et local, en influençant la nébulosité, l’humidité, les précipitations, les températures… Elle est particulièrement précieuse en ville : à cause du rayonnement solaire sur les surfaces bétonnées et des activités humaines (circulation, climatisation, industrie), la température y est entre 2° C et 12° C supérieure à celle relevée dans les milieux ruraux. Les espaces végétalisés permettent de lutter contre les îlots de chaleur en offrant de l’ombre, mais aussi grâce au phénomène d’évapotranspiration (évaporation de l’eau contenue dans les sols et transpiration de l’eau contenue dans les feuilles), qui permet le rafraîchissement de l’air aux alentours. D’où la nécessité de désimperméabiliser les sols (en limitant au maximum béton et goudron) et de multiplier les plantations en pleine terre ou les toitures et murs végétalisés. «Planter des arbres de chaque côté d’une rue permet de diminuer facilement la température de l’air de 4° C à 5° C à 12 mètres de hauteur et d’humidifier celui-ci. Et un modèle, à Manchester, a montré que si on végétalise ce qui est végétalisable en termes de toits, on peut obtenir une réduction du pic des canicules de l’ordre de 8° C, rapporte Luc Abbadie, professeur d’écologie à Sorbonne Université et directeur de l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement. Quand on connaît la mortalité liée aux canicules, c’est important.» Et de conclure : «Planter des arbres dans les rues, végétaliser les toitures et les murs, c’est tout sauf une mode écolo, c’est faire une politique de santé publique efficace.»
…et c’est moins de maladies chroniques
Aujourd’hui, 20 millions de Français sont atteints, plus ou moins gravement, par des maladies chroniques. Cette «épidémie» coûte 84 milliards d’euros, soit 60 % des dépenses totales de santé annuelles du pays. Parmi les principales causes, on trouve la fragilisation croissante des systèmes immunitaires et du microbiote humain, la malnutrition et le surpoids. Autant de problèmes pour lesquels la biodiversité est un atout de choix.
Prenons les allergies. A ce jour, jusqu’à 30 % de la population a déjà souffert ou souffre d’une manifestation clinique allergique (asthme, rhinite allergique, eczéma, urticaire, allergie alimentaire, allergie médicamenteuse, etc.) et ce chiffre atteindra 50 % en 2050 d’après l’OMS. «La perte de biodiversité et /ou la diminution du contact de l’individu avec celle-ci appauvriraient son système immunitaire et favoriseraient ainsi le développement de plusieurs maladies inflammatoires dont les allergies», détaille Isabella Annesi-Maesano, épidémiologiste des maladies allergiques et respiratoires à l’Inserm dans un document publié en décembre par la mission Economie de la biodiversité de CDC Biodiversité.
La malbouffe est un des autres gros points noirs de l’évolution de nos sociétés. Selon l’OMS, plus de 2 milliards de personnes souffrent d’une «faim cachée» liée à une déficience en éléments nutritifs. Un résultat direct de la détérioration de la richesse dans nos assiettes. Elle-même causée par des politiques agricoles qui ont préféré le rendement à la qualité nutritive, en sélectionnant un nombre toujours plus réduit de souches de cultures ou de races d’animaux d’élevage les plus productives possible. «On estime qu’environ 7 000 espèces végétales ont été utilisées par l’humain à un moment de son histoire [pour son alimentation], évalue le rapport de l’ONU de 2015 sur les liens entre biodiversité et santé. Actuellement, seules trois de ces espèces fournissent 40 % de l’énergie alimentaire des humains.» De même, seules 40 espèces animales sont utilisées dans le bétail, dont 5 procurent 95 % de la production alimentaire mondiale.
Ce paysage agricole appauvri sert, en plus, à fabriquer des produits ultratransformés et saturés de graisse et de sucre qui provoquent l’augmentation de l’obésité, du diabète et la multiplication des problèmes cardiovasculaires. Face à cela, la nature offre de riches ressources. Selon l’OMS, une plus grande consommation de fruits et légumes permettrait d’éviter 19 % des cancers gastro-intestinaux, 31 % des cardiopathies ischémiques chroniques et 11 % des accidents vasculaires cérébraux.
Coralie Schaub , Aude Massiot , Sarah Bouillaud Illustrations